5 juin 2009

Reflexions sur l'émigration clandestine des sénégalais vers l'Europe


Rescapé à l'arrivée sur une plage des Canaries

L'émigration clandestine des sénégalais:
un phénomène marginal ?


Oui...si l'on considère uniquement les chiffres bruts : Selon les statistiques, il y aurait environ 15 000 arrivées clandestines de sénégalais par an (en Espagne - chiffres de 2006) et on évalue - début 2009 - à 1500 personnes le nombre annuel de "disparus"...parmi les sénégalais ayant tenté le voyage par la mer.

Donc si l'on s'en tient aux statistiques - et même si on double les chiffres pour tenir compte de l'émigration vers l'Italie (1ère destination des migrants sénégalais) - il faut reconnaître que, sur une population totale comprise entre 10 et 11 millions de personnes, avec une démographie galopante (on prévoit près de 12 millions en 2010 et plus de 14 millions en 2020 ; chaque année il y a 200 000 jeunes supplémentaires sur le marché de l'emploi )...
le phénomène migratoire clandestin paraît très marginal !

Phénomène marginal ?
oui, apparemment, si l'on considère la place que ce "sujet" - ce problème - occupe dans les Médias ou dans les conversations, les discussions que l'on peut avoir avec les sénégalais (Pendant les 6 premiers mois de notre séjour...pas un seul article sur le sujet, pas une seule discussion...)

Et pourtant ?

Mbëkë mi : à l’assaut des vagues de l’Atlantique - c'est le titre d'un livre d’Abasse Ndione publié fin 2008. Mbëkë, ça veut dire "Emigration" en Wolof...

Extrait : " Mbëkë mi , c’est avant tout « le coup de tête » sur lequel on part, défiant tous les périls ; et c’est devenu, tant elle est folle à accomplir, « la traversée » des milliers de jeunes Africains,tournant le dos à la misère et à la désespérance, fuyant ainsi leur pays en pirogue..."

A lire sur le site seneweb l'article concernant ce livre d'Abasse Ndione...

[NB:lire également les commentaires concernant le livre précédent d'Abasse Ndione - le très bon RAMATA , dont semble t-il un réalisateur congolais vient de faire une adaptation cinématographique présentée au dernier festival Fespaco à Ouagadougou).]

Pendant les 6 premiers mois de notre séjour ici, nous n'avons eu aucun écho, aucune discussion avec personne concernant ce problème d'émigration clandestine massive...en mars 2009 lorsque nous sommes allés à
Dakar, nous avons acheté les 3 livres de Abasse Ndione; mais c'est seulement en avril qu'on lira " Mbeke mi "...
...un court récit -sans fioriture - racontant "l'aventure" d'un groupe d'une quarantaine de personnes, essentiellement des villageois originaires d'un village situé dans la région de Matam sur les bords du Sénégal...groupe qui a tenté la traversée en pirogue à partir de Dakar...jusqu'aux Canaries...et dont les survivants ont pu raconter leur "aventure"...
Tout est dit en quelques mots...sans pathos, sans analyse politique...Juste le vécu de quelques uns des passagers rescapés...

En mai 2009 pendant quelques jours, s'est tenue à St Louis une exposition sur le thème de l'Emigration clandestine organisée par le centre culturel... espagnol...
Curieusement, l'exposition portait le même titre que le roman d'Abasse Ndione.

Nous n'avons, malheureusement pas pu voir cette exposition qui n'a duré qu'une semaine, à St Louis...

Pourtant, à partir de cette date, nous avons commencé à entendre parler de plus en plus souvent de cette question de l'émigration clandestine vers l'Europe...
notamment au départ de Saint Louis. Jusqu'alors, il nous semblait que le phénomène était plutôt "marginal"...et concernait surtout les Dakarois...

Et puis lors d'un séjour un peu prolongé au faro di Barbarie, chez nos amis espagnols - Carmen y Jai [NB : qui ont ouvert en fevrier 2009 un nouveau "campement" sur la langue de barbarie, un endroit magique que nous avons découvert récemment (un peu par hasard lorsque Elsa et Eduardo sont venus faire un peu de tourisme dans notre région) ] - donc, nous parlons avec Carmen de ce problème d'émigration clandestine vers les Canaries...et elle nous dit, en nous montrant le petit village de Gandiol...de l'autre côté du fleuve : "Tu sais, j'ai vu il y a peu de temps un départ de pirogue...d'ici (Nb : à 30 kms de l'embouchure du fleuve)...et les passagers n'ont pas pu partir ce jour là, car la police est intervenue; mais il y a des départs régulièrement...d'ici; et l'année dernière ( ce sont les employés de leur Campement, originaires du village qui l'ont raconté ) une pirogue est partie avec 80 personnes du village... dont il n'y a plus de nouvelles...ils ont disparu en mer !"

Après la lecture du récit d'Abasse Ndione, après le témoignage des habitants de ce petit village de Gandiol...qui envoient régulièrement des dizaines de jeunes en Europe...au péril de leur vie (et ils ont déjà payé le prix fort)...il était difficile de continuer à penser que c'était un phénomène marginal!

L'émigration clandestine: sujet tabou ?

Il paraît qu'il existe un vieux proverbe "africain" qui dit :"Celui qui veut s'enrichir doit aller à l'Etranger". (Source: L'Afrique, le fric, la France - J-P Gourevitch Ed.Le Pré aux Clercs 1997 p 216)

Donc, pour les sénégalais - dont 90 % ont chez eux des conditions de vie très dures, très difficiles - émigrer c'est quelque chose de "normal", quelque chose qu'il faudra peut être (Inch'Allah ! ) faire une fois dans sa vie !

Dans une "communication" - très universitaire, mais fort documentée, donc fort interessante - Mr Cheikh Oumar Ba, sociologue, professeur à l'Université de Dakar, explique en juin 2007 que " Traditionnellement pays d'immigration (!) le Sénégal est devenu un pays d'émigration au début des années '80...Depuis le milieu des années '80, l'Europe du Sud, essentiellement l'Italie, constitue le nouveau champ migratoire du Nord...au détriment de la France, jusque là principal pays d'accueil des sénégalais. A partir de 2000, avec le durcissement des politiques migratoires et l'externalisation de la gestion des frontières des pays de l'espace Schengen, les flux migratoires sont devenus essentiellement illégaux et ont choisi comme porte d'entrée en Europe, l'Espagne..."

NB : Ce document est disponible integralement sur internet, telechargeable en format PDF - titre du document : Barça ou barzakh : la migration clandestine sénégalaise vers l'Espagne entre le Sahara Occidental et l'Océan atlantique - Source : www.casaarabe-ieam.es

http://publicaciones.casaarabe-ieam.es/textos_de_casa_arabe/20070608ba_FR.pdf


L'EMIGRATION CLANDESTINE : un maillon de la mondialisation

Le 20 mai 2009...est publié sur un site web d'information spécialisé sur le Sénégal un article caractéristique de l'hypocrisie du discours des hommes politiques (Source : L'observateur)

" INERTIE SUR LE PROBLEME DE L’EMIGRATION CLANDESTINE: L’Union Européenne tance le Sénégal.

L’Union européenne s’indigne de l’inertie du gouvernement sénégalais devant la tragédie que constitue l’émigration clandestine."


L'Hypocrisie de l'Union européenne

http://www.xibar.net/INERTIE-SUR-LE-PROBLEME-DE-L-EMIGRATION-CLANDESTINE-L-Union-Europeenne-tance-le-Senegal_a16432.html

Pourquoi disons nous qu'il s'agit (de la part de l'Union européenne) d'un discours totalement "hypocrite" ?

Parce que l'Union européenne est la première responsable de la situation.

Parce que ce sont les gouvernements des pays de l'Union et la Commission européenne (avec l'accord du Parlement européen...) qui ont transformé l'Europe en une forteresse inaccessible ou presque...

Parce que, en fait, les dirigeants politiques de "presque" tous les pays sont complices d'avoir créé une "société mondiale" dans laquelle le bien-être de la société s'appelle PIB ou PNB par habitant et se calcule en dollars ou en Euros..,

Ils sont complices - au sein d'une oligarchie mondiale - d'avoir créé un "Monde" dans lequel les capitaux et ceux qui en possèdent, peuvent circuler facilement, sans se préoccuper des frontières, et les "travailleurs" - les autres habitants de la planète - ne peuvent pas circuler librement, se déplacer en dehors de leur pays...

Ils ont créé un monde dans lequel certains pays (comme le Sénégal et l'Afrique en général) sont des pays fournisseurs (de matières premières, de main d'oeuvre...) et d'autres pays fabriquent et vendent...

Et tout ceci ne date pas d'aujourd'hui, ni même des années '80 (du XXè siècle)...
Ce phénomène de mondialisation a commencé au XVIè siècle, il s'est affiné avec le système colonial et il n'a pas cessé avec les-soit disant- "indépendances" (que d'aucuns appellent à juste titre Néocolonialisme).

Le Senegal est considéré par les "décideurs" de cette "oligarchie mondiale" comme un pays exportateur de main d'oeuvre(pas chère) et importateur de produits finis (chers en principe)...
Les sénégalais n'ont pas chez eux les moyens de s'enrichir...à la façon des occidentaux...seul moyen de s'acheter les produits finis (ou les nouvelles technologies) qu'on veut leur vendre...
Sauf...pour l'oligarchie locale - une toute petite minorité, complice du système, qui en vit en se sucrant sur toutes les transactions (corruption à tous les étages...).

C'est pourquoi les gouvernements sénégalais - socialistes ou néolibéraux - encouragent à la fois, les "Investissements exterieurs" et "l'Emigration des jeunes":

- les "investissements exterieurs"...qui sont en fait un feu vert donné aux multinationales pour s'enrichir en exploitant main-d'oeuvre et ressources du pays...qui ne rapportent rien aux populations locales ( sauf des salaires de misère...) mais beaucoup aux membres de l'oligarchie locale qui se sucrent au passage !

- l'émigration de leur population, la fuite des cerveaux et de tous ceux qui peuvent aller travailler à l'exterieur et envoyer au Senegal de l'argent en devises !! Devises, sur lequel évidemment ils se sucrent aussi : l'argent envoyé par les sénégalais vivant à l'exterieur du Sénégal représenterait presque 7% du PIB (500 millions de dollars en 2004)...

Alors finalement, on vous l'avait bien dit qu'il s'agissait d'un problème marginal!!
Qu'est ce que représentent les 3000 décés annuels de migrants ?
Juste quelques "dégats collatéraux" du système de la " mondialisation heureuse" !!